La question des échelles de temps
Les chaînes énergétiques présentent des dynamiques à des échelles de temps très différentes. Entre la régulation d'un réseau électrique à la milliseconde et le temps long des déchets nucléaires (plusieurs milliers d'années voire centaines de milliers d'années), une grande diversité de mécanismes et de contraintes est en jeu.
Des décisions à chaque échelle de temps
A chaque échelle de temps, ce sont autant de décisions spécifiques à prendre. Quelques exemples déjà partiellement évoqués précédemment :
Régulation d'un processus énergétique (chaudière, raffinerie, réseau électrique, etc.). C'est la plupart du temps un processus technique automatisé, intervenant à des petites échelles de temps (seconde, minute...).
Les décisions opérationnelles (heure, journée), par exemple, de mise en service (ou d'arrêt) d'une installation ou de modulation de sa puissance pour répondre à une variation de la demande ou un aléa.
Les décisions tactiques de gestion d'une installation ou d'un parc à l'échelle de la semaine ou du mois ou plus (démarrage d'une installation nécessitant plusieurs jours de mise en route, par ex centrale à charbon ; calendrier de maintenance et de rechargement en combustibles d'un parc nucléaire).
Les décisions stratégiques de constructions de nouvelles installations, d'extensions de réseaux (dont la mise en application peut s'étaler sur plusieurs années)
Chaque type de décision s'inscrit dans un contexte particulier, avec des données et des contraintes particulières et sur un temps qui lui est propre.
Décisions opérationnelles et décisions stratégiques : quels critères ?
Pour une décision opérationnelle de court terme, le parc d'installations est déterminé et connu ainsi que de nombreuses contraintes (on sait que telles centrales est à l'arrêt, le prix du gaz et du fioul est connu, etc.). La décision aura un impact sur une période limitée (quelques heures ou quelques jours, parfois moins), avant qu'une nouvelle décision ne soit prise.
Pour une décision stratégique, une partie seulement du parc est connue (les installations les plus récentes), le reste du parc futur étant justement à déterminer. Avec une durée de vie d'installations de l'ordre de plusieurs dizaines d'années, la période impactée est de long terme. Les incertitudes sont donc nombreuses (quels seront les coûts des intrants nécessaires, les prix des énergies concurrentes, les contraintes réglementaires, le niveau exact de la demande ?).
Nous l'avons vu, les critères technico-économiques sont très différents selon l'échelle de temps en jeu.
Le critère du coût marginal de court terme utilisé pour une décision opérationnelle (à partir de l'ordre de mérite) est différent du coût marginal de long terme, adapté à une décision stratégique. Non seulement leurs définitions et leurs formules sont différentes, mais les données d'entrée utilisées pour les évaluer ne sont pas les mêmes. Le coût du combustible pour la semaine prochaine n'a aucune raison d'être le même que celui des 20 ans à venir !
On notera au passage que les critères d'impacts environnementaux, à l'instar des émissions de CO2, peuvent de manière très similaire se décliner
en impacts de long terme (intégrant l'ensemble des émissions sur le temps long y compris les émissions liées à la construction des infrastructures, dans une approche de type ACV) ;
et en impacts marginaux de court terme (associés aux seules émissions directes liées à l'usage des combustibles suite à la décision de mise en route de l'installation)
Tout ceci vient souvent obscurcir les débats, d'autant que le contexte de la décision peut modifier du tout ou tout aussi bien les critères de décision que les données pour leur évaluation.
Le temps intervient dans la définition des unités fonctionnelles
Dans le cas particulier de l'électricité, lorsqu'on compare les coûts des filières de production pilotables (combustibles, nucléaire) et non pilotables (ENR intermittentes), les différences d'unités fonctionnelles (au sens que l'ACV donne à ce terme) sont une autre source de confusion, souvent non explicitée.
Un MWh d'électricité n'est pas une unité fonctionnelle suffisamment précise, que ce soit pour analyser des coûts ou des impacts environnementaux. Il est nécessaire de préciser le profil temporel de puissance associé à ce MWh.
En toute rigueur, il ne faut comparer des coûts que pour des profils temporels similaires. Pour les filières pilotables, par essence, le coût est valable quel que soit le profil de puissance. Mais pour une filière intermittente, le profil de production est imposé par la source et n'a pas en général de raison de coïncider avec la demande de l'usager.
La comparaison ne devrait être faite que pour des systèmes complets intégrant l'appoint ou le stockage et délivrant rigoureusement le même service qu'une installation pilotable.
Là encore, les échelles de temps des ressources intermittentes sont un facteur pertubateur.
L'importance du long terme et des choix passés
Enfin pour terminer, il est important de rappeler l'importance des critères temporels de long terme en matière énergétique. La longue durée de vie (voire très longue, quand elle est supérieure à 50 ans) d'installations nécessitant des capitaux énormes amortis sur de longue durée explique le comportement d'un certains nombres d'acteurs. Elle représente un facteur de rigidité fondamental et un obstacle à des transitions rapides.