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Module 3-1 - Concept de "système énergétique"

La diversité et l'imbrication des échelles de taille et d'espace

Tailles et échelles spatiales

Techniquement, les solutions énergétiques sont désormais disponibles pour toutes les tailles, entre le watt et le gigawatt (un écart d'un facteur un milliard !). Les solutions à petite échelle (individu) ou moyenne échelle (ville) viennent concurrencer les grands systèmes centralisés.

La taille optimale d'une filière énergétique, qui s'impose progressivement à une période donnée, résulte essentiellement

  • des contraintes, physiques, technologiques ou autres (par exemple : il n'existe pas de mini-centrale nucléaire ou de mini-centrale charbon peu polluante)

  • et des variations des coûts avec la taille. L'existence d'économies d'échelles avec la taille induit une course au gigantisme, mais rencontre des obstacles dans de nombreux cas (coûts croissants au-delà d'un seuil ; risques ; problèmes d'acceptabilité).

L'échelle d'espace à laquelle une filière se déploie dépend de cette taille optimale des installations et plus largement des contraintes et des coûts portant sur le transport de la source ou du vecteur considéré.

Par exemple, un petit pays insulaire est limité dans ses choix d'approvisionnements extérieurs car sa situation impose un certain nombre de barrières physiques, technico-économiques ou institutionnelles : son réseau électrique doit être autonome ; l'importation de certaines sources, comme le gaz ou le charbon, est souvent exclue du fait du coût des infrastructures. A l'inverse, l'approvisionnement de base en énergie (le plus souvent pétrolier) étant par nature plus coûteux, les sources d'énergies locales renouvelables peuvent être plus facilement rentables et donc offrir des opportunités fortes. C'est le cas aussi des investissements en efficacité énergétique.

Pour les énergies en réseau comme l'électricité et le gaz, l'extension et le maillage des réseaux constituent la contrainte physique de base qui définit l'échelle à laquelle cette énergie se déploie : limitée si le réseau est contraint ou en phase initiale de déploiement ; très large sur un réseau mature bien déployé.

L'histoire de l'énergie depuis l'origine de l'humanité met en évidence des évolutions très marquées en matière d'échelles spatiales.

Historiquement, des systèmes énergétiques très décentralisés

Jusqu'à la révolution industrielle, les contraintes sur l'énergie et son transport sont très fortes. Les coûts de transports sur toutes les marchandises sont rédhibitoires –le transport maritime faisant en partie exception-. En outre, il n'existe pas de source ni de vecteur énergétique facilement transportable (sauf, relativement, le bois et le charbon de bois).

Les approvisionnements énergétiques en combustibles sont ainsi assurés localement ou régionalement, par exemple via l'arrière pays des grandes villes. L'absence de vecteur adapté à la force motrice limite le déploiement de puissances mécaniques significatives (humaine, animale ou hydraulique) dans des lieux très concentrés (ex un moulin hydraulique).

Ces puissances restent modestes et conduisent à une dispersion des installations industrielles, imposée d'ailleurs aussi par la nécessité d'être proche des clients du fait des coûts de transport du produit final.

L'énergie (sous les formes encore limitées où elle est disponible à cette époque) est donc une affaire essentiellement locale ou régionale.

Dans une grande ville comme Londres, l'épuisement des ressources en bois dès le XVIIème siècle conduit cependant à recourir progressivement à un approvisionnement plus lointain (Scandinavie, Amérique du Nord) grâce à la position portuaire favorable de la ville.

La révolution industrielle, vers les systèmes centralisés

La révolution industrielle, avec la machine à vapeur et le chemin de fer (+le charbon) puis les moteurs à combustion interne (+le pétrole), permet de lever le verrou sur les coûts de transports. La mondialisation est en marche et en premier lieu la mondialisation de l'énergie, les combustibles eux-mêmes, pétrole et charbon, étant parmi les produits les plus largement échangés.

La facilité et le faible coût du transport du pétrole sont une caractéristique majeure qui explique l'émergence d'un marché mondial pour le pétrole. La complexité technologique, le montant colossal des investissements et les risques pour l'exploration-production conduisent à la concentration d'un nombre limité d'entreprises multinationales.

La maîtrise de nouveaux vecteurs énergétiques en réseau (gaz de ville puis électricité) offre de nouvelles perspectives. D'abord limitées aux grandes villes dans la période de déploiement initial (et donc avec des dynamiques locales spécifiques), l'extension et l'intégration progressive des réseaux conduisent à un maillage fin des territoires dans les pays industrialisés. L'existence d'économies d'échelles importantes liées à la taille (par ex avec les centrales thermiques, ou les centrales nucléaires) conduit à une centralisation nationale de la filière.

Mais cette centralisation prend des formes différentes, plus ou moins marquées selon les pays, leur histoire et leur culture, et leurs institutions politiques, par exemple entre la France et l'Allemagne.

Aujourd'hui, les politiques européennes favorisant l'interconnexion des réseaux électriques conduisent à une plus grande intégration, ce qui ne signifie pas forcément une centralisation européenne, d'autant qu'émergent de nouvelles sources décentralisées et locales.

Avec la transition énergétique, une nouvelle décentralisation énergétique ?

La place grandissante des énergies renouvelables s'accompagne d'un mouvement net de relocalisation partielle de l'énergie. Mais c'est un des aspects incertains –et intéressants- de cette transition. Jusqu'où peut-elle aller en matière de décentralisation énergétique ?

Les technologies –y compris les technologies pour les énergies renouvelables, comme l'éolien ou le photovoltaïque, demain l'hydrogène- sont et resteront sans doute largement mondialisées.

La décentralisation énergétique sera-t-elle une mutation durable, associée par exemple à la généralisation du photovoltaïque à bas coût ?

Ou, comme à certaines périodes de la révolution industrielle, juste une étape transitoire vers le déploiement massif de nouvelles infrastructures intégrées à grande échelle, comme ce pourrait être le cas avec les smart grids ?

Conclusion

On a beaucoup insisté sur les contraintes physiques et technico-économiques qui influent sur les échelles d'espace. Mais les règles et contraintes institutionnelles (les frontières de toutes natures, physiques ou symboliques), les structurations particulières d'acteurs sur un espace donné dans un contexte historique et culturel jouent également un rôle fondamental.

L'imbrication d'échelles spatiales très diverses est en grande partie la conséquence de la cohabitation d'acteurs aux tailles et aux échelles spatiales variées, depuis les sociétés multinationales et les ONG internationales jusqu'aux individus et aux petits collectifs locaux.

L'organisation des pouvoirs publics couvre également toutes les échelles spatiales depuis les instances internationales (ONU, OCDE/AIE, Union Européenne), jusqu'aux Etats et à leurs subdivisions (régions et autres collectivités territoriales). Même s'il existe une hiérarchie entre ces niveaux d'organisation, dans la pratique la coordination n'est pas si simple et chaque niveau tend à prendre une autonomie.

Enfin, l'ensemble des chaines énergétiques connaissent des interactions fortes : les sources et vecteurs sont à la fois complémentaires (ils s'alimentent mutuellement) et en concurrence. C'est un autre facteur qui conduit à une imbrication très forte des échelles d'espace de l'énergie.

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